Les élites de l'Empereur
La Révolution a balayé les privilèges héréditaires de VAncien Régime. Napoléon ne les rétablit pas, il fait mieux: il crée un réseau serré et hiérarchisé d'élites militaires, religieuses et civiles entièrement dévouées à sa personne. A coups de décorations, de titres et de pensions «pour services rendus», c'est une véritable noblesse que l'Empire installe dans la France d'après la Révolution.
La France que le coup d'État du 9 novembre 1799 livre au général Bonaparte en est à l'an X de sa Révolution, à l'an VIII de sa République : « Une République de 25 millions d'habitants que la démocratie rend tous égaux », juge Lakanal, en 1794. Noblesse héréditaire, titres et emblèmes divers avaient disparu avec tout le système féodal dès 1790. L'égalité successorale entre héritiers, la généralisation de l'appellation « citoyen », le tutoiement universel qui nie l'existence de « supérieurs » ou d'« inférieurs », ont été imposés par la Convention élue en 1792. La République n'accorde à ses citoyens aucune décoration, tout au plus des armes d'honneur aux militaires les plus braves. Chacun a accès aux mêmes tribunaux, selon les mêmes lois. Et toute la rhétorique politique qui s'est abondamment écoulée depuis les états généraux s'ordonne selon un thème commun : la haine du despotisme et du privilège, identifiés à un Ancien Régime que l'on ne reverra jamais.