L'exode : un pays à la dérive
Les «évacués» n'oublieront jamais les images tragiques et affreusement banales de leur fuite éperdue devant les troupes allemandes. Dans cette France en état de liquéfaction, plus aucune autorité, civile ou militaire, n'a de prise sur les événements, et les élites font toutes faillite. Dès lors, faut-il s'étonner que la plupart des Français aient accepté à la fois un armistice et un maréchal de France qui s'érigeait en sauveur?
« Hâ ves, les traits tirés par leur marche de la nuit, de la veille, peut-être de l'avant-veille même, les pauvres gens allaient à pied, poussant devant eux des voitures à deux roues, des brouettes chargées des objets les plus hétéroclites. Les pieds ensanglantés par leurs chaussures, certains s'arrêtaient sur le talus, mettaient des espadrilles. Des voitures à chevaux, des automobiles gonflées de matelas, de couvertures, de valises et de paquets ficelés de cordes, sanglés de courroies, ceinturés de sandows, doublaient la file des piétons ; leurs propriétaires emportaient, en quittant leurs foyers, ce qu'ils avaient de plus utile ou de plus précieux. Le spectacle le plus affligeant était celui des enfants. Il y avait tant d'épouvante dans leur petite voix hurlant, terrifiée : "Les avions, maman, les avions", que l'on sentait qu'ils avaient dû voir déjà la mort.