
Comprendre l’Espagne

Les Fractures de l’Espagne. De 1808 à nos jours, Benoît Pellistrandi, Gallimard, 2022, 736 p., 13,60 €.
Auteur, en 2013, d'une Histoire de l'Espagne, des guerres napoléoniennes à nos jours (Perrin), Benoît Pellistrandi livre une version totalement remaniée, actualisée et différemment problématisée de cet ouvrage. Avec deux lignes de force : l'Espagne n'est pas une exception et participe de l'histoire européenne et mondiale des XIXe et XXe siècles ; mais elle est traversée par des « fractures », des affrontements internes qui singularisent le pays et compliquent son existence en tant que nation. La force des images dans nos mémoires (Goya, Guernica, les attentats de l'ETA) ne doit pas faire oublier que, à l'instar des autres pays d'Europe, l'Espagne n'est pas passée à côté du libéralisme qui structure le XIXe siècle. Elle a connu une redistribution de la propriété, une révolution industrielle, l'urbanisation, l'avènement des masses, la démocratisation, la montée du syndicalisme, du socialisme et de l'autoritarisme. Et, à la fin de la période, débarrassée du franquisme, elle est une grande démocratie européenne. Pour autant, l'histoire espagnole est convulsive, et les deux siècles passés sont des plus singuliers : la guerre napoléonienne qualifiée d'« indépendance » mais qui fut également une opposition entre Espagnols ; les trois guerres carlistes du XIXe siècle ; et la guerre civile (1936-1939), qui a duré non pas trois ans, mais trente-neuf ans, jusqu'à la mort de Franco en 1975. Fracture entre la conception, jusque si tard dans le XXe siècle, d'une Espagne profondément catholique et les bouleversements de la modernité. Des fractures avec le passé qui parfois ne passe pas, malgré la transition démocratique. Fracture encore que les guerres coloniales perdues au début du XIXe siècle et en 1898. Et fracture territoriale pour un pays dont la frontière continentale ne bouge pas depuis le traité des Pyrénées de 1659, mais qui est travaillé par les forces centrifuges des différents royaumes qui l'ont composé.
C'est cette dialectique fascinante entre mouvement général de l'Europe et singularité espagnole que met si bien en évidence cette histoire revisitée qui donne au lecteur un sentiment de proximité et une étrange sensation d'altérité.