Falsification criminelle

Poutine historien en chef, Nicolas Werth, Gallimard, « Tracts », 2022, 64 p., 3,90 €.

Le 24 février 2022, Vladimir Poutine a justifié l'offensive russe contre l'Ukraine par la nécessité de la « dénazifier » ainsi que de mettre fin à un « génocide ». L'usage de tels mots peut laisser pantois. Il s'inscrit pourtant dans une entreprise de falsification de l'histoire menée depuis vingt ans par le pouvoir poutinien afin de mettre en place un récit national destiné à l'inscrire dans la continuité des régimes tsaristes et soviétiques.

Nicolas Werth relate avec exigence et précision les étapes de la construction de ce récit, depuis la doxa soviétique qui soumettait l'histoire aux « lois » du marxisme, jusqu'au syncrétisme historique forgé par Vladimir Poutine en s'appuyant sur le développement d'un sentiment d'humiliation dans la société russe suite à la chute de l'URSS et aux graves crises des années 1990. Au coeur de ce pacte entre le pouvoir et la population se trouve le mythe de la victoire dans la « Grande Guerre patriotique ». Ce récit se heurte cependant aux travaux des historiens depuis l'ouverture des archives dans les années 1990, ainsi qu'à ceux de l'association Memorial qui depuis la perestroïka préserve la mémoire des répressions soviétiques et oeuvre à l'émergence d'une société démocratique. Les dures lois mémorielles qui entravent depuis 2014 les travaux des premiers ainsi que la dissolution de la seconde en décembre 2021 ont laissé Vladimir Poutine seul « historien en chef » lancer une offensive - d'abord mémorielle, puis militaire - contre Kiev.